
(Par Roger Gbégnonvi)
C'est bizarre ! Tu bois ta bière, les deux yeux dans un livre. Tu donnes un bon pourboire. Tu t'en vas. Tu ne dis rien. Tu ne fais rien. Alors que les autres hommes nous font bondir et hurler de rire en nous montrant leur désir par la promenade de leurs mains sur les bonnes choses de notre corps. Toi, tu ne désires jamais aucune fille. Et tu parles avec moi aujourd'hui. C'est bizarre ! Le ciel veut faire à moi un cadeau, c'est sûr. Santé de Dieu.
Comment je me retrouve ici ? La politique a chassé moi de mon pays. Ici, vous êtes, bizarres, vous placez dans le fauteuil de président n'importe qui. Chez nous, c'est toujours fils après papa. Même ethnie toujours. Et pour tenir tranquilles les autres ethnies, le papa ou le fils envoient de temps en temps les militaires, et ils nous frappent. La dernière fois, ils viennent, ils nous frappent. Et quand ils s'en vont, on trouve partout des parents renversés, et tout leur sang est dehors, et les têtes sont loin des corps. Ma mère voit ça et crie, et comme depuis enfant elle a la maladie de la peur, elle se jette dans la rivière pour ne pas mourir, et elle meurt noyée. Ma mère ne sait pas nager. Sans ma mère, je suis zéro là-bas. Alors je fuis. Je traverse la brousse longtemps, et petit à petit je viens ici. C'est ça ! Et comme je suis déjà bonne pour les hommes à cause de mes dehors très acceptables, je commence le travail de servante-bar. Un travail sans apprentissage, et tu gagnes de l'argent dans le jour avec les pourboires, et tu gagnes de l'argent dans la nuit avec les hommes dans les chambres de passage. Au début, je suis noire, mais le patron-bar dit que les hommes aiment quand ça tape dans leurs yeux. Alors je choppe au marché de rue les bons savons. Les coins sont restés noirs. C'est Toujours ça. Mais je suis blanche. Et mes cheveux nylon. Santé de Dieu.
Penser à mon avenir ? C'est simple, c'est rien. Avenir, c'est les choses te prennent et tu prends les choses et les choses te prennent encore. C'est rien. Moi, je suis née par hasard, ma mère a dit. Ma mère a dit c'est son maître d'école qui fait ça à elle derrière la classe, et je suis venue. Mais après le maître a refusé moi. Alors ma mère a refusé le maître et l'école, elle a accepté moi bébé et n'a plus fait autre bébé, pourtant les hommes veulent, et elle est allée mourir dans l'eau, comme j'ai dit. Santé de Dieu. Moi, ma pensée, c'est Paris. C'est bon à Paris. Je vois ça à la télé. Là-bas, les gens ne souffrent pas, ils font la politique avec toutes les ethnies. En Afrique, c'est la souffrance partout, même ici. Je vais à Paris. Santé de Dieu.
C'est mon Assemblée de Prière qui s'appelle ‘‘Santé de Dieu''. Le pasteur dit de dire ça souvent pour tuer les maladies et chasser les ennemis. Le pasteur, il est trop fort, il connaît la Bible par cœur, il termine les sorciers. Il dit que la Bible est contre les chambres de passage, mais je ne crois pas trop ça à cause que les pourboires, c'est peu. Si je ne passe pas du temps avec les hommes dans les chambres, je n'ai pas l'argent assez pour la quête, la dîme et tout ça. Et Dieu a besoin de tout ça pour grandir dans sa gloire amen alléluia. Donc je dois être aussi femme de passage et pas seulement servante-bar. Santé de Dieu.
Barmaid ? C'est ça on dit dans tes livres ! Alors appelle-moi barmaid. Mais j'ai dit à toi, ne dis pas mon nom dans ton livre. Toi, tu es bon, je dis à toi la vérité : mon nom ici que tu entends, c'est faux. Chaque fois que je change bar, je change nom. En trois ans, ce bar est mon huitième. Tu comprends ? C'est la vie, elle veut ça. Et Paris aussi. Car je veux un Blanc, il me prend, il m'endosse, il me porte jusqu'à Paris. Ça arrive. Je prie. Santé de Dieu. Mon endosseur blanc, je dis à lui mon vrai nom. Un nom sans histoire dans les bars et dans les chambres de passage. Est-ce que toi, tu vas endosser une fille avec un nom traîné jour et nuit de bar en bar et de chambre en chambre ? Non ! Alors donne-moi le nom que tu as dit. Barmaid. C'est ça ? Il y a bar dedans. C'est bon. Appelle-moi barmaid. Santé de Dieu.