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Hissène Habré et son ombre sur le Bénin

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(Par Roger Gbégnonvi)

Environ 40.000 Tchadiens assassinés, 200.000 torturés, dont beaucoup sont morts hors geôles, des dizaines de femmes violées, qui ont pris le voile de la honte et du silence, le pillage échevelé du pays. Mais le 30 mai 2016 à Dakar, seuls les assassinats, les tortures et un viol dévoilé ont rattrapé Hissène Habré. A l'énoncé du verdict de prison à perpétuité, une femme – celle qui a reconnu avoir été violée ? – s'est écriée : ‘‘Alléluia, j'ai vaincu un dieu sur terre !'' Tous les crimes de masse ont leur dieu sur terre : Hitler en Allemagne, le tandem Alice Lakwéna et Joseph Kony en Ouganda/Centrafrique, Habyarimana au Rwanda, pour s'en tenir à des massacres qui ne datent pas de cent ans et qui frôlent donc le siècle présent. Leur vigilance et leur sens suraigu du compromis aidant, les Béninois ont éloigné de leur rivage l'enfer d'un dieu sur terre à la Hissène Habré. Puissent-ils dissiper toute ombre d'Hissène Habré en empêchant les petits ruisseaux de crimes de faire les grandes rivières de crimes.
Or donc, entre le 6 avril 2006 et le 6 avril 2016, les petits ruisseaux de crimes ont été nombreux avec lesquels il faut faire rupture afin que le nouveau départ n'aille pas sombrer dans une grande rivière de crimes impunis, qui n'auront pas connu la case justice. La Garde présidentielle, deux heures après le passage du cortège présidentiel, a abattu à Ouidah deux conducteurs de taxi-moto : on a donné de l'argent à leurs parents, et les tueurs, connus, n'ont pas été inquiétés. A Djidagba, les Forces de l'ordre ont abattu, en leur tirant dans le dos, cinq paysans qui fuyaient, pris de peur : dans l'espoir têtu du procès des tueurs connus, les corps des paysans reposent à la morgue, preuve irréfutable, le procès venu, du quintuple assassinat. La prétendue disparition du fonctionnaire des Finances, Pierre-Urbain Dangnivo, est devenue un roman-feuilleton, écrit par les criminels eux-mêmes, car ils savent tout des circonstances de ladite disparition : on attend la suite et la fin du procès filandreux. Une nuit, à 23 h, à Pahou, l'ancienne Ministre Bernadette Agbossou Sohoudji, alors directrice d'une société d'Etat, est abattue par des hommes manifestement envoyés pour la tuer : on fait à la victime des obsèques quasi nationales chez elle, à Avéganmê, sans rien entreprendre pour arrêter ses assassins, sans doute connus. On arrête précipitamment et relâche aussitôt sept comparses présentés hypocritement comme ceux qui auraient arrosé Martin Assogba d'une pluie de balles, dont il est sorti miraculeusement vivant, alors qu'il se rendait chez lui, á Hwêdo, à 21 h : le tragi-comique des faux coupables plus des confidences disent assez qu'on protège les vrais coupables de la tentative d'assassinat de l'activiste des droits de l'homme.
Ce sont là, entre le 6 avril 2006 et le 6 avril 2016, les crimes de sang connus du grand public. Cette liste lugubre peut être prolongée à volonté par ceux qui ont suivi, pendant dix ans, le cours des ‘‘petits ruisseaux [qui] font les grandes rivières''. Les suppôts déclarés ou non de l'impunité estimeront sans doute que les Béninois s'en sont sortis à bon compte le 20 mars 2016, et qu'il faille à présent ‘‘laisser tomber tout ça''. Laisser tomber pour que ça retombe sur qui demain ? Il ne suffit pas de s'en sortir à bon compte, il faut s'en sortir par le haut, par la justice, comme on le fit à l'encontre d'Hissène Habré le 30 mai 2016 à Dakar. On ne ressuscitera pas les morts, et les médecins parisiens ont laissé Martin Assogba vivre avec, dans le cou, deux balles dont le retrait s'avère périlleux. Mais pour l'honneur des morts et pour la sécurité des vivants, le nouveau départ après rupture doit juger les crimes ci-dessus et d'autres. Ce sera justice, rupture et nouveau départ. Après huit ans de massacre du peuple, vingt-deux ans d'un exil doré et sept mois de procès sans qu'il daigne dire le moindre mot, Hissène Habré a fini par être condamné. L'espoir fut long. Puissent les Béninois ne pas devoir attendre deux décennies pour voir condamnés dix ans de déviances criminelles.


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